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THEMA:   Survol de la littérature: 6 oeuvres, 12 séances

 51 Antwort(en).

Jean-Pol Martin begann die Diskussion am 02.11.00 (15:23) mit folgendem Beitrag:

J'ouvre ce forum pour établir une réflexion suivie sur des oeuvres littéraires centrales ou des auteurs majeurs, ayant marqué non seulement la littérature francaise, mais aussi la littérature européenne, sinon mondiale. Il s'agit de
- La chanson de Roland
- Rabelais
- Molière
- Voltaire
- Balzac
- Camus
Pourquoi ces oeuvres, pourquoi ces auteurs? N'en a-t-on pas épuisé toutes les ressources? Peut-être, mais refuserait-on au visiteur, désireux de se familiariser avec la capitale, de voir la Tour Eiffel ou le Louvre? Même si cette comparaison est un peu bancale, les débats sont ouverts. Commencons par la Chanson de Roland: Pourquoi cette oeuvre et pas une autre?


Jean-Pol Martin antwortete am 02.11.00 (15:30):

Comme ce forum s'adresse en grande partie à des (mes?) étudiants, comme par ailleurs il n'est pas sans danger pour un étudiant de francais de s'exprimer dans cette langue en public (il est automatiquement soumis au jugement de ses pairs et de ses professeurs), les contributions peuvent être fournies en francais ou en allemand, au choix! Ne vous privez pas!


Jean-Pol Martin antwortete am 02.11.00 (20:05):

Je résume ce que nous avons fait aujourd'hui:
1. Pourquoi traiter La Chanson de Roland? Il s'agit de la première oeuvre d'envergure en langue francaise. Auparavant on trouve seulement quelques vies de saints. En étudiant La Chanson de Roland, on se penche sur deux époques du Moyen-Age a) l'époque de Charlemagne, le IXe siècle, puisque c'est le thème de l'épopée et b) sur le XIIe siècle, l'époque à laquelle l'oeuvre a été rédigée. L'épopée informe de facon précise sur les structures du pouvoir au XIIe siècle, donc la féodalité, sur ses valeurs, sur les symboles et les moeurs de cette époque. En effet la société présentée dans la Chanson n'est pas celle de Charlemagne, mais celle de Philippe Ier, de Louis VI et des croisades. Alors que le Charlemagne historique régnait encore en monarque, le Charlemagne de la Chanson est soumis au jugement des Barons, donc inclus dans une structure féodale. Trois puissances dominent l'époque: le territoire incluant la France et l'Allemagne - en gros l'Europe de l'ouest -, relativement faible et divisé, le monde arabe, partout présent, notamment en Espagne et constituant une menace permanente pour l'Occident, et Byzance enfin, culture brillante et fascinante par rapport à l'Occident frustre et primitif de nos ancêtres. A l'époque où la Chanson de Roland est écrite, deux croisades ont déjà eu lieu. Voilà le contexte historique dans lequel s'inscrit l'oeuvre.
2. Dans les extraits que j'ai distribués a) Ganelon désigne Roland, b)Roland refuse de sonner du cor, c) Roland sonne du cor et enfin d) le châtiment de Ganelon, je voudrais d'une part dégager les éléments essentiels de la société féodale, telle qu'elle est présentée dans l'oeuvre, et d'autre part saisir la position de l'auteur dans l'affrontement entre Roland "le preux" et Olivier "le sage". Quels sont les valeurs qui poussent Roland à refuser de sonner du cor? Est-il un héros, est-il un sot?


Erich Streitenberger antwortete am 02.11.00 (22:49):

Cher Jean-Pol Martin,

une simple question de méthode: ne faudrait-il pas, pour tout ce qui concerne l'horizon européen, ouvrir un nouveau forum bien séparé de celui qui aborde tout ce qui est "Lernen durch Lehren"? Cela permettra de bien distinguer les différents sujets, ce qui n'est plus tout à fait le cas maintenant, du moins à mon avis. Même dans le forum "Lernen durch Lehren" (qui devient un peu "anarchique", si j'ose dire), il conviendrait maintenant de hiérarchiser un peu et de grouper plusieurs thèmes de discussion sous plusieurs catégories (dont les titres resteraient à trouver). Pour quelqu'un de nouveau dans toutes ces discussions cela pourrait sembler un peu confus à l'heure actuelle. Peut-être l'administrateur des forums pourrait-il insérer une "page de bifurcation" (pour classer les discussions LdL) entre la première page (où l'on choisit les différents sujets) et les pages LdL. Qu'en pensez-vous?

Bien cordialement,
Erich Streitenberger


Jean-Pol Martin antwortete am 03.11.00 (04:20):

Cher Eric, je voudrais approfondir ce point avec vous. Pour cela il vaut mieux choisir le "niveau" (mon équivalent pour"das Brett") "Das neue Diskussionsforum Lernen durch Lehren". Merci de me rejoindre sur ce niveau!


Jean-Pol antwortete am 04.11.00 (16:42):

Dan mes réflexions sur l'identité européenne (en allemand) j'ai mentionné à plusieurs reprises l'importance de la *gloire* dans la hiérarchie des valeurs en Europe, depuis la Grèce antique en passant par l'Empire Romain, la France du XIIe siècle (Le Cid) jusqu'à nos jours. Dans la Chanson de Roland ce thème est majeur. Ainsi *Roland* vient de l'ancien haut allemand *hrod* (=Ruhm)et *lant*(=Land). De même rien ne peut arriver de pire à un individu que d'être mal jugé par les autres. Je cite: "En douce France j'en perdrais mon renom", "Ne plaise au Seigneur Dieu que par ma faute mes parents soient blâmés et que France la douce tombe dans le mépris", "Jamais mes parents n'en auront le reproche", "Ne plaise au Seigneur Dieu ni à ses anges que France à cause de moi ne perde son honneur! J'aime mieux mourir que tomber dans la honte.", "Il ne faut pas qu'on puisse chanter sur elles (les épées) une mauvaise chanson", "Ne fuyez pas afin que les vaillants ne chantent pas sur nous de honteuses chansons".
Voilà certainement une caractéristique des sociétés où ce n'est pas l'individu, mais le groupe qui est l'unité de référence. L'honneur de la famille ne peut avoir de poids que dans les sociétés où il existe des familles. Qu'on pense aux Turcs en Allemagne ou aux familles maghrebines en France. Dans la société occidentale moderne, où le groupe familial s'est dissolu, l'individu n'est plus responsable de son comportement que vis à vis de lui-même. Donc le concept d'honneur familial a perdu son support. Qu'en pensez-vous? Avez-vous des exemples?


Jean-Pol Martin antwortete am 04.11.00 (16:55):

Une particularité de l'internet avec laquelle il faut apprendre à vivre: on fait des fautes qu'on ne peut plus corriger. Ainsi j'ai inscrit comme auteur de ma contribution "Jean-Pol" alors que je voulais noter "Jean-Pol Martin", ce qui n'est pas trop grave, mais surtout j'ai inscrit par inadvertance "XIIe siècle" au lieu de "XVIIe siècle" (évidemment) pour Le Cid, de Corneille.


Jean-Pol Martin antwortete am 04.11.00 (18:42):

Et voilà un lien très intéressant sur le personnage de Roland:

(Internet-Tipp: http://www.rewi.hu-berlin.de/FHI/97_09/munzel_t.htm)


Jean-Pol Martin antwortete am 05.11.00 (07:22):

Voilà une indication importante pour l'interprétation du passage que vous avez à préparer pour jeudi prochain:
"Wie die Karolinger-Könige seit Karl dem Einfältigen sind die ersten Kapetinger (Robert II., 996-1031; Heinrich I., 1031-1060; Philipp I., 1060-1108) Schattenkönige, die großen Kronvasallen schränken den Handlungsspielraum des französischen Königs auf Grund ihres machtpolitischen Übergewichts auf ein Minimum ein und entkleiden das Königtum weitgehend seiner Rechte, so dass der feudale Auflösungsprozess sich ungehindert bis zum Beginn des 12. Jahrhunderts fortsetzen kann."


Sandra Wagner antwortete am 08.11.00 (15:42):

Roland, est-il un héros ou un sot?
Tout d`abord, on ne doit pas oublier qu`on vit maintenant au XXIème siècle, ça veut dire presque mille ans après la composition de la "Chanson de Roland". Pour un lecteur de notre époque, Roland est probablement un sot. Il refuse de sonner de l`olifant. Au lieu de cela, Roland essaie de vaincre l`immense armée sarrasine bien que ce soit impossible. A mon avis, Roland est très soucieux de sa gloire. C`est surtout son orgueillance qui l`empeche de demander de l`aide à Charlemagne. Sa réputation excellente est tout ce qui compte et Roland ne veut pas perdre cela. Peut-etre qu`il croit que, s`il demande de l`aide à Charlemange, sa famille, son roi et ses soldats croiront qu`il manque de courage. A cette époque-là, cela aurait été une grande honte. Donc, Roland préfère se sacrifier et est célébré comme un héros.
De nos jours, cependant, je crois que cela n`arriverait plus. Ce qui est important aujourd`hui c`est la victoire collective d`une armée et pas l`honneur d`une personne individuelle. Par conséquent, pour moi, Roland n`est pas un héros.


Jean-Pol Martin antwortete am 09.11.00 (14:35):

Aujourd'hui nous avons réactivé nos connaissances à propos du contexte historique dans lequel la Chanson de Roland a été écrite. Nous avons insisté sur le fait que le personnage historique de Charlemagne ne devait en aucun cas être confondu avec celui qui est décrit dans l'épopée. Le Charlemagne historique avait des pouvoirs beaucoup plus étendus que celui du poème épique, écrit au XIe siècle, soit 300 ans plus tard. Ce dernier était dépendant du "jugement des barons". Le système féodal, surgi à la fin du règne de Charlemagne, affaiblit le pouvoir du roi de facon considérable.C'est d'ailleurs le motif de la Chanson de Roland: la nostalgie d'un temps où le roi était en mesure de combattre les Sarrasins! La société féodale elle-même repose sur un système de valeurs où l'honneur joue un rôle majeur. Une notion qui, aujourd'hui, a largement perdu de son contenu. Il n'est pas exclu que dans un monde de plus en plus flou, des valeurs de base, comme celle de la famille et de la tradition, reprennent de l'importance. Plus une société est évoluée, plus les rouages de son fonctionnement sont complexes (Imperium Romanum). La société féodale représente une régression dans la mesure où elle offre des repères simples et immédiats: famille, roi, patrie. Enfin nous avons constaté que Roland en tant que figure symbolique est bel et bien un personnage de dimension européenne qu'on retrouve en Allemagne (Roland als Symbol des Kaiserrechts), en Italie (Orlando furioso) et en Espagne. Une question que nous n'avons pas pu développer faute de temps est celle du contraste entre Roland (le preux) et Olivier (le sage).

Ma question aux étudiants:
Quand vous entendez "Chanson de Roland", qu'est-ce qui vous vient spontanément à l'esprit?


Jean-Pol Martin antwortete am 15.11.00 (08:19):

Au Moyen Age le système d'explication du monde et le système de valeurs - du moins en Occident - étaient monolitiques (catholicisme). Les trois ordres (noblesse, clergé et tiers état) structuraient clairement la société, le pouvoir, de type féodal, répondait aux besoins d'une société aux schémas mentaux peu complexes. Simplicité, cohérence, unité et intégration, tels sont les caractéristiques - évidemment très schématisées - de cette époque 1). Ce qui frappe, quand on passe du Moyen Age à la Renaissance, c'est la brusque différenciation des systèmes de pensée. L'homme de la Renaissance découvre l'espace géographique (Amérique), l'espace mental (philosophies grecques, langues anciennes, sciences). En très peu de temps, les systèmes mentaux vont se diversifier considérablement. Tous les espaces s'ouvrent à l'imagination (Utopies). La diversification favorise toutes les émancipations, non seulement du point de vue philosophique et religieux (Réforme) ou scientifique et artistique, mais aussi celles de l'enfant (éducation) et de la femme. En effet au cours de la Renaissance beaucoup de femmes émergent, surtout dans les lettres en créant des cercles littéraires (Louise Labbé, Marguerite de Navarre), mais aussi en politique (Catherine de Médicis). On assiste donc à une véritable explosion dans tous les domaines 2). Du point de vue littéraire, ce mouvement se traduit par l'enrichissement considérable des textes, tant du point de vue linguistique que du point de vue sémantique. Il faut lire les textes constamment à plusieurs niveaux (sens caché, allégories, symboles et métaphores). C'est le règne de l'ambiguité! Rabelais livre pour ce foisonnement les exemples les plus frappants. Voilà donc une ligne d'explication que je suivrai avec vous demain, en traitant Rabelais.
____________________________
1) Pour avoir une idée de ce système à structure primitive, il suffit d'observer les structures universitaires aujourd'hui: un patron dirige un clan qui lui est dévoué ("loyal"). Les assistants et autres vassaux servent le patron qui en revanche les soutiendra pour le développement de leur carrière. Si un vassal ne se tient pas aux règles, par exemple en critiquant le patron en public (Chanson de Roland: "félon"), il est rejeté.
2) En ce sens, notre époque présente des traits communs avec la Renaissance, dans la mesure où les nouveaux moyens de communication ouvrent des horizons nouveaux (l'Internet est un nouveau continent où on découvre des nouveaux systèmes de pensée) et émancipent: chacun peut écrire ce qu'il veut sans passer par une censure.


Jean-Pol Martin antwortete am 15.11.00 (10:39):

Bei meiner Beschäftigung mit dem "Ureuropäer" Odysseus fällt mir auf, dass die List als Quelle seiner Erfolge immer wieder hervorgehoben wird. Diese Spur verfolge ich natürlich und sehe, dass die List im Mittelalter eher negativ konnotiert wird, während sie in der Renaissance wieder zu Ehren kommt. Natürlich ist die Figur des Listigen auch im Mittelalter präsent, aber eher im Volk angesiedelt als Revanche des kleinen Mannes gegenüber dem Mächtigen (Renard). Im Mittelalter sind die wirklich edlen Eigenschaften die Tapferkeit und die Treue (was sich nicht so gut mit List verträgt). In der Renaissance, einer Zeit mit ambigen Denkmustern, herrscht Vieldeutigkeit. In der Renaissance bekommen List und Betrug im Dienste der Staatsräson eine theoretische Begründung (Macchiavelli).
Über Rabelais' Pantagruel lese ich in der Edition Pléiade folgenden Satz: "Derrière Panurge, le panoûrgos de Pantagruel, par exemple, Rabelais convie tous les rusés européens - Till Uylenspiegel, Cingar... - et tous les rusés antiques - Mercure, Ulysse... - (...)." Und was das "explorative Verhalten" betrifft (auch hier eine für Odysseus typische Eigenschaft): "Pantagruel suit Orphée pour son voyage du Quart Livre, mais Rabelais suggère aussi d'autres voyages: ceux de Jacques Cartier, le découvreur du Canada, ceux d'Ulysse, ceux du pythagoricien Apollonius de Tyane, ceux du héros de l'histoire véritable de Lucien."

Un aspect très important lorqu'on étudie Rabelais est son "humour". Ici il convient d'observer que Rabelais est souvent associé à ce qu'on appelle "l'esprit gaulois". Pour plus d'indications, voyez le lien:

(Internet-Tipp: http://www.intellectbooks.com/europa/number2/trotter.htm)


Jean-Pol Martin antwortete am 16.11.00 (06:16):

Plus je me penche sur les oeuvres importantes de la littérature francaise, plus ma réflexion s'oriente vers une analyse "interculturelle" et une recherche des points communs et des divergences dans les mentalités. Dans quelle mesure Rabelais, par exemple, est-il typiquement européen et/ou typiquement francais? Cet esprit gaulois qu'il représente ("gaulois" signifiant en fait "galant") est-il particulier à une époque? Est-il particulier à un pays, à une entité plus vaste comme l'Europe ou le retrouve-t-on partout dans le monde? Je pencherai plutôt pour la deuxième solution, mais cela pourrait faire l'objet de recherches plus approfondies. Si par exemple un étudiant allemand faisant en ce moment un séjour en France lisait ce texte, il pourrait nous communiquer ses observations...


Jean-Pol Martin antwortete am 16.11.00 (10:07):

Chers éudiants,
il semble pour l'instant que votre tâche ne soit pas claire - du moins pour vous. Nos cours ne déclenchent-ils chez vous aucun processus de réflexion, aucune question, aucune suggestion, aucune observation? Il se peut, évidemment que vous hésitiez à "publier" des idées encore vagues ou des formulations imprécises. Mais c'est surestimer le medium internet. Il s'agit tout simplement de poursuivre la conversation littéraire que nous avons en cours une heure par semaine...Rien de plus...Si une idée vous vient, même sur un sujet qui vous semble déjà épuisé, comme par exemple le Moyen Age, vous pouvez l'exprimer, même lorsque nous en serons à l'existentialisme! Nous remettrons de l'ordre nous-mêmes, "linéarité a posteriori"!


Jean-Pol Martin antwortete am 16.11.00 (16:18):

Aujourd'hui j'ai été heureux d'apprendre que plusieurs d'entre vous avaient tenté d'apporter leur contribution à notre réflexion. Evidemment ils ont eu des problèmes techniques (il faut envoyer "weiter zur Vorschau" et si votre texte vous convient il faut cliquer "abschicken", sinon "zurück").
Je poursuis donc notre réflexion. Nous avons constaté qu'alors qu'au XIe siècle c'était la Chanson de geste qui dominait la scène littéraire, aux XIIe et XIIIe siècle on observe une large diversification des genres: la Chanson de geste persiste sous une forme romancée et parfois surchargée de merveilleux, viennent s'ajouter la littérature courtoise, le lyrisme, les Fabliaux (genre bourgeois, "esprit gaulois") et les chroniques. Ceci correspond à une diversification de la société, due notamment au développement des villes et de la bourgeoisie. Aux XIVe et XVe siècles, époques de malheurs et de guerres (guerre de 100 ans), on assiste à une réduction de la production littéraire, notamment à une disparition des chansons de geste et de la littérature courtoise. Restent les chroniques et le lyrisme de cour (Charles d'Orléans) mais aussi du peuple (Villon). Puis éclate la Renaissance! On découvre les mondes géographiques (Amérique), intellectuels (philosophies grecques, Antiquité romaine) et scientifiques. Il n'y a plus, comme au Moyen Age, un seul système d'explication du monde mais il y en a plusieurs! L'homme est contraint de prendre ses distances, de relativiser. La littérature est le reflet de ce changement de paradigme: alors qu'au Moyen Age le système d'explication unique interdisait d'en imaginer un autre, au contraire à la Renaissance on se fait un jeu de passer d'un système d'explication à l'autre, de dérouter le lecteur en lui faisant suivre de fausses pistes. Dans ce registre, le maître est incontestablement Rabelais, qui joue continuellement sur l'ambiguité! Est-il sérieux? Plaisante-t-il? Difficile de le savoir. Il prétend n'écrire que pour amuser son lecteur ("Aux lecteurs"), mais très rapidement il leur conseille de "briser l'os pour sucer la substantifique moelle"! Donc plusieurs couches sémantiques s'ouvrent au lecteur assidu et courageux. Le paresseux sera, lui aussi, satisfait, puisqu'il y a suffisamment de passages pour l'amuser.


Jean-Pol Martin antwortete am 17.11.00 (12:51):

Pour pouvoir continuer la discussion, il n'est pas inutile de suivre nos débats dans le forum "Europäische Identität"!


Jean-Pol Martin antwortete am 18.11.00 (17:10):

Il faut que j'attire votre attention sur un point que je n'ai pas suffisamment souligné au dernier cours: Le texte de Rabelais est précédé d'un avis au lecteur dont la dernière phrase est: "Mieux est de ris que de larmes écrire, pour ce que rire est le propre de l'homme." Cette phrase ne revêt tout son sens que si on se rappelle qu'au Moyen Age le rire est proscrit. Je cite Frank-Rutger Hausmann (Metzler, 1996) qui dit à propos du Moyen Age: "Da Gott bei seiner Schöpfung nicht gelacht hat, ist Komik auch kein prioritär behandelter Prozess.(...)Hier steht das MA ganz in biblischer Tradition und Ablehnung der Antike, die dem Lachen positiv gesonnen war.(...) Den Umgangston des offiziellen Mittelalters bestimmte eine 'eisige, versteinerte Seriosität'. (...) So ist das Lachen vor allem im klösterlichen Bereich tabuisiert. Der Mönch wird definiert als 'is qui luget - der, der trauert.' Ja, Lachen gilt in den Klöstern als die obszönste und teuflischste Form üblen Sprechens. Lachen wird als diabolischer Ausdruck im besessenen menschlichen Leib gedeutet, und Feste, die nicht ernsten christlichen Anlässen dienen, haben einen Anstrich des Teuflischen." (S.240). Dans sa réhabilitation du corps et de la nature - et du rire -, Rabelais se situe donc en opposition totale au Moyen Age.


Jean-Pol Martin antwortete am 19.11.00 (15:13):

Contrairement au Charlemagne de la Chanson der Roland, pour qui la vie de ses sujets et de ses soldats ne compte pas face à l'honneur de sa famille, de son pays et de sa nation, Grandgousier, la figure du roi idéal chez Rabelais, essaie d'éviter toute effusion de sang! C'est le roi pacifique, désireux de sauvegarder la vie et le bonheur de ceux dont il a la responsabilité: "L'exploit sera fait à moindre effusion de sang que sera possible. Et, si possible est, par engins plus expédients, cautèles et ruses de guerre, nous sauverons toutes les âmes et les enverrons joyeux à leurs domiciles." Pour préserver la vie et le bonheur de son peuple, Grandgousier est donc prêt à utiliser la ruse, à parlementer, à chercher des compromis. Un roi pragmatique, tel que Rabelais, en homme de la Renaissance s'imagine le souverain idéal!


Jean-Pol Martin antwortete am 21.11.00 (10:54):

Une information qui n'a rien à voir avec notre sujet: après-demain jeudi c'est le jour "porte-ouverte". Je pensais pouvoir malgré tout faire cours, mais il se trouve que je dois faire un exposé sur le sujet "Schlüsselqualifkationen im Europastudiengang". Comme notre cours me tient beaucoup à coeur, je rattraperai l'heure perdue à la fin du semestre. Mais compte tenu du fait que je nourris ce forum de mes réflexions (en attendant les vôtres :-)), le cours est permanent et ne peut être interrompu! :-))


Maria antwortete am 23.11.00 (19:00):

Rabelais, Molière, Voltaire, Balzac, Camus.... Je pense que j'ai déjà entendu ces noms i l y a quelque temps........ Mais c'est bien d'en lire parce qu'elle me manque un peu, la litterature francaise. Je me n'intéresse pas à la littérature allemande mais de plus en plus souvent je prend le livre sur la littérature francaise que M. Martin m'a donné et je lis dans lequel des poêmes et des textes. Et je lis aussi volontairement (!) les livres qu'on a lu ensemble pendant les deux ans LK Francais chez M.Martin.

Je dois dire que la méthode de LDL, le préparer des châpitres singuliers des livres et le fait qu'on connaît (est-ce que c'est le mot correct pour "erfahren / erlernen" le contenu et le sens du texte soi-même rend le livre intéressant.
Chaque personne qui a la possibilité de faire son mémoire en francais (chez M. Martin): Fais-le! Le travail pour mon mémoire était très intéressant et j'en suis encore "stolz". (Ich hatte schon seit Mai kein Französisch mehr! Man merkt, dass mein Wortschatz allmählich schwindet)

Maria


Jean-Pol Martin antwortete am 24.11.00 (06:03):

Quelle joie, chère Maria!!
En ce qui concerne ton vocabulaire: il suffit de quelques heures à parler français et tout ton vocabulaire revient!


Jean-Pol Martin antwortete am 28.11.00 (15:55):

Imaginons un Français cultivé de la Renaissance ayant pris ses distances par rapport à la littérature relativement simpliste de ses ancêtres (Chansons de geste, Romans courtois, Chroniques, littérature bourgeoise) et découvrant les civilisations grecque et latine à travers les auteurs anciens. Ce Français cultivé va idéaliser l'Italie, notamment Rome, et partir à la suite d'un ambassadeur ou d'un évêque, ou même tout seul pour ce pays (Rabelais, Du Bellay). Quelle déception de constater que les Italiens ne sont pas ceux des oeuvres qu'il a lues, mais que, si Rome est vraiment celle de l'histoire, les habitants n'ont pas le niveau moral et intellectuel de leurs ancêtres. Au contraire, les visiteurs de la ville immortelle rencontrent des classes dirigeantes et un clergé - même le Pape - décadents. Voilà qui pose des problèmes à leur identité. Après avoir idéalisé l'talie et la Grèce, ils vont alors idéaliser leur pays d'origine (Du Bellay: "Heureux qui comme Ulysse...", Défense et Illustration de la langue française"). Par cet aller et retour culturel, les Français intégreront les acquis de la civilisation gréco-romaine dans leur propre culture. Quelle richesse présente la pensée française de ce temps! On peut la "visiter" chez Rabelais! Malheureusement, la deuxième partie du 16e siècle va être une période de régression déclenchée par les guerres de religions.
Ce phénomène d'idéalisation d'un pays "modèle", puis de réidéalisation du pays d'origine peut certainement être observé pour tous les exilés momentanés ou définitifs (étudiants allant faire un voyage aux Etats-Unis, Turcs allant travailler en Allemagne, Maghrébins allant en France...)


Jean-Pol Martin antwortete am 30.11.00 (14:48):

Aujourd'hui je crois que nous avons bien dégagé à quel point la Renaissance, en opposition au Moyen Age, apporte une libération du corps et de l'esprit. L'homme est capable d'accéder au savoir sans l'aide du clergé, ou plus encore, en se dégageant de l'emprise du clergé! L'homme se tourne alors vers toutes les sciences naturelles, il recherche une connaissance encyclopédique. Symbolisant l'envie de déveopper toutes ses compétences, Gargantua nage en tenant und livre dans sa main, hors de l'eau pour ne pas mouiller les pages. Dans les passages sur l'éducation, Rabelais montre bien qu'aucune connaissance livresque ne doit être mémorisée sans avoir été comprise et assimilée (qu'on pense aux écoles coraniques!). L'homme est également en droit de refuser le monde tel qu'il est (et que Dieu l'a fait) et d'imaginer un monde meilleur (Utopies). Quels parallèles avec le 18e siècle! Dans ce monde carnavalesque (le monde à l'envers) le rire permet aussi de libérer les forces de l'inconscient (300 ans avant Freud!).


Jean-Pol Martin antwortete am 30.11.00 (17:09):

Pendant que j'y suis, je structure un peu ce que nous allons faire les deux heures qui viennent. Je vous ai annoncé que nous allions traiter Corneille (Le Cid) l'heure prochaine et dans deux semaines Molière (Tartuffe). Voilà dans quel contexte ces deux auteurs se situent (je cite l'Anthologie de la littérature française, Classiques Larousse, Collection dirigée par Robert Horville, XVIIe siècle).
Pour le XVIIe siècle on distingue 4 grandes périodes littéraires:
1. La période baroque:
"Après l'humanisme de la Renaissance, qui naufrage dans les guerres de Religion, s'impose, de 1598 à 1630, ce qu'on appelle le baroque. Ce courant refuse d'enfermer la création à l'intérieur de règles fixes, exalte la relativité et la liberté, pratique la surcharge et le décoratif. Le romancier Honoré d'Urfé (1567-1625) et le poète Théophile de Viau (1590-1626) en sont les principaux représentants." (p.10)
2. La période préclassique:
"La période qui va de 1630 à 1661, avec Pierre Corneille (1606-1684) ou Blaise Pascal (1623-1662), peut être qualifiée de 'préclassique': elle marie l'exaltation baroque et le souci de la rigueur propre au classicisme." (p.11)
3. La période classique:
"De 1661 à 1685, triomphe ce qui sera plus tard appelé le 'classicisme', qui entend respecter des règles précises d'écriture, qui croit en l'absolu, qui mise sur la simplicité et la clarté. Ce courant donne naissance à toute une génération d'écrivains prestigieux qui, malgré les contraintes, savent, comme Jean de la Fontaine (1621-1695), Molière (1622-1673), madame de Sévigné (1626-1696) ou Jean Racine (1639-1699), exprimer leur personnalité, faire œuvre originale." (p.11)
4. Période de remise en cause:
"Enfin, de 1685 à 1715, avec notamment Jean de La Bruyère (1645-1696), la crise de la littérature accompagne la crise politique: c'est le temps des remises en cause, qui annonce déjà le XVIIIe siècle, le siècle des Lumières." (p.11)


jean-christophe Doubroff antwortete am 02.12.00 (05:50):

Salut,

je viens de feuilleter les pages qui precedent et cela m'interesse bien> Le rire de Rabelais et de Gargantua, ce rire qui ne sait plus s'il n'est pas aussi mele de pleurs lorsque Gargantua ne sait pas s'il doit se rejouir de la naissance de son fils Pantagruel ou pleurer la mort de sa femme; c'est cet accent mis sur l'ambiguite de nos pensees et de nos sentiments par rapport aux autres et a la vie qui m'interesse et qui comme on dit me semble tres moderne. C'est d'autant plus percutant que cette ambiguite s'exprime dans la pensee d'une seule personne, d'un clerc qui, malgre sa situation de clerc donc de savant, ose non seulement montrer son desarroi mais em outre le relater de maniere comique. Je crois que l'on pourrait retrouver cette incertitude fondamentale dans presque tous les grands romanciers; presque tous ayant choisi le mode comique pour exprimer egalement souvent l'ambivalence ou la complexite inevitable de leur pensee.
A ce sujet je crois qu'il est interessant de toujours tenter d'etudier au moins deux oeuvres contrastees d'un unique auteur; ainsi pour Moliere qui est a votre programme je crois qu'il faudrait lire "Don Juan" en regard de "Tartuffe">
Par ailleurs il me semble qu'un ecrivain a assez bien presente en quoi le roman etait une particularite europeenne; notre mode de recherche opposee a la demarche religieuse: il s'agit de Milan Kundera dans "l'art du Roman" . Comme souvent avec Kundera , c'est un livre qui a l'avantage d'etre simple a lire tout en presentant des idees nouvelles.
PS: Proust serait peut-etre bienvenu; il etudie je crois si justement les mecanismes reliants les emotions aux essais de rationalisations successifs; il presente en outre une des descriptions possibles de la sensibilite et de la realite francaise au meme titre que Balzac puis Zola> Je crois meme que Proust illustre un peu Freud avec le desespoir en moins. Mais ici je m'ecarte du sujet n'etant par ailleurs pas sur de ce que j'avance>
PS: je n'ai pas pu inscrire les accents parce que j'ecris avec un clavier americain>
Je vous salut tous bien amicalement de Sydned
Jean-christophe


Jean-Pol Martin antwortete am 03.12.00 (08:17):

@ Jean-Christophe:
- "A ce sujet je crois qu'il est intéressant de toujours tenter d'étudier au moins deux oeuvres contrastées d'un unique auteur; ainsi pour Molière qui est à votre programme je crois qu'il faudrait lire "Dom Juan" en regard de "Tartuffe".
* C'est en effet ce que je fais en général dans mes survols (je traite "L'école des femmes", "Tartuffe" et "Dom Juan"). Cette fois-ci, comme mon cours ne dure que 45 minutes, je réduis au maximum. D'ailleurs je traiterai par opposition à Molière "Le Cid" de Corneille (honneur, devoir etc.).
- "Par ailleurs il me semble qu'un écrivain a assez bien présenté en quoi le roman était une particularité européenne; notre mode de recherche opposé à la démarche religieuse: il s'agit de Milan Kundera dans "l'art du Roman" . Comme souvent avec Kundera , c'est un livre qui a l'avantage d'être simple à lire tout en présentant des idées nouvelles."
* Merci de votre indication. Dès que j'aurai le temps, je tenterai de lire ce livre.
- "PS: Proust serait peut-être bienvenu; il étudie je crois si justement les mécanismes reliant les émotions aux essais de rationalisation successifs; il présente en outre une des descriptions possibles de la sensibilité et de la réalité françaises au même titre que Balzac puis Zola. Je crois même que Proust illustre un peu Freud avec le désespoir en moins."
* D´accord!


Jean-Pol Martin antwortete am 04.12.00 (13:41):

Je continue donc mon "survol" et mes observations sur la littérature du XVIIe siècle.
En simplifiant on constate qu'après Rabelais s'installe une période de classicisme, de retour aux anciens en ce qui concerne la forme. En effet, les écrivains de la Pléiade (Ronsard, Du Bellay) s'efforcent d'établir des règles en s'appuyant sur les poètes Grecs et Latins avant de s'engager dans une voie plus originellement française. A la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, le Baroque se dégage des exigences classiques: "Le baroque se caractérise par une exubérance de l'imagination et du style formant un contraste frappant avec la raison et la stricte ordonnance classiques. A la colonne torse de l'architecture baroque correspondent en poésie des enchaînements d'images d'abord déroutants parce qu'ils ne suivent pas la droite ligne de la logique. Le baroque, c'est l'effervescence du lyrisme libre, des images brillantes, parfois recherchées, le triomphe du contraste entre une pensée subtile et des notations violemment réalistes." (Lagarde et Michard, XVIIe siècle, p.12).
Dans ma prochaine contribution je tenterai de situer "Le Cid" de Corneille.


Jean-Pol Martin antwortete am 04.12.00 (14:18):

Depuis la fin du XVIe siècle donc, le théâtre avait tendance à s'écarter des règles classiques. Mais quelles sont donc ces règles?
La tradition s'appuie sur la Poétique d'Aristote qui exige, dans une œuvre dramatique, que soient respectées les unités de temps et d'action. Viennent par la suite s'ajouter l'unité de lieu et de genre ainsi que les bienséances, c'est-à-dire la dignité, la noblesse, le vocabulaire élevé qui correspond au personnel des pièces classiques (haute noblesse, rois). Il est même déconseillé de représenter au théâtre des scènes de combat ou des duels. L'inconvénient de ces exigences est que toute une partie de la vie se trouve exclue (toute celle que précisément Rabelais avait thématisé au XVIe siècle). Toute l'action est concentrée sur un événement, sur un conflit psychologique. Les avantages sont résumés dans le passage suivant (Lagarde et Michard, 96):
(Je change d'ordinateur, je vais dans la bibliothèque et je continue).


Jean-Pol Martin antwortete am 04.12.00 (15:53):

"Elles représentent d'abord la contrainte que le génie créateur doit s'imposer à lui-même pour éviter la pente de la facilité: une œuvre est plus grande des difficultés vaincues. Et surtout, sous leur apparence arbitraire, elles ont aidé l'idéal classique à prendre conscience de lui-même et à se réaliser. Enfermé dans l'étroit réseau des unités et des bienséances, la tragédie se resserre et s'intériorise, gagne en intensité et en profondeur, révélant ainsi son caractère essentiel, qui est de placer 'les événements hors du temps et de l'espace, dans le cœur humain' (Lanson). Les règles sont le creuset d'où est sortie la tragédie classique."
Bien. Voilà donc l'idéal classique, du moins en ce qui concerne la forme. Qu'en est-il des contenus? La tragédie classique met en scène des héros de l'antiquité, des rois, en tout cas des personnages hors du commun avec un destin correspondant. "Le Cid" est une œuvre préclassique, une "tragi-comédie", pas absolument typique de la tragédie classique (l'action se passe en Espagne au Moyen Age, et non dans la Rome antique, et la pièce a des difficultés à se plier à la règle des 3 unités). Cependant on peut lire dans Lagarde et Michard (p.103): "Cette tragi-comédie est en fait notre première véritable tragédie classique et reste l'une des plus grandes".
Les thèmes majeurs dans "Le Cid" sont les suivants:
- Il s'agit d'êtres extraordinaires, tant du point de vue de leurs capacités intellectuelles et physiques que du point de vue éthique. Ils tendent et accèdent à une parfaite maîtrise de leurs sentiments. C'est ainsi qu'aussi bien Rodrigue que Chimène renoncent à leur bonheur privé (amour) pour ne pas perdre leur honneur. On retrouve donc les valeurs de la chevalerie.
- Le ressort de l'action est l'admiration que provoque chez l'être aimé précisément le renoncement au bonheur privé du partenaire. Chimène admire Rodrigue de ne pas se laisser influencer par son amour pour elle et de provoquer son père en duel.
- Il s'agit ici, évidemment, d'un modèle de société élitiste, surtout si on pense que ces caractères hors-normes sont hérités et transmis de génération et génération.

Ce qui frappe, c'est l'aspect résolument régressif de cette époque littéraire et artistique. Cela correspond sans doute à un besoin de remise en ordre après une période de troubles. Il faut donc des structures claires, simples, faciles à comprendre (comme au Moyen Age)! Contrairement à la tolérance bon-enfant de Rabelais, conscient que la perfection n'existe que dans les contes de fées, Corneille fait ressusciter des idéaux inaccessibles, créant ainsi une illusion dangereuse. En effet, quoi de plus facile que de s'appuyer sur ces modèles pour opprimer ceux qui n'y correspondent pas? Il est bon - même nécessaire - d'avoir des idéaux, mais il faut savoir que personne ne peut les réaliser et que ceux qui par soif de pouvoir vous présentent une image idéalisée d'eux-mêmes vous mentent. En créant l'illusion que cet idéal existe et est représenté par la noblesse ou les princes, Corneille crée les conditions de l'oppression.


Jean-Pol Martin antwortete am 07.12.00 (16:32):

Aujourd'hui nous avons essayé d'étayer les thèses énoncées ci-dessus à partir du texte. Nous avons constaté que la société très théâtrale du XVIIe siècle pousse les individus à se mettre en valeur, à présenter vers l'extérieur une version idéalisée de leur propre personne. Cela conduit à des autoportraits comme celui de Don Diègue ou du Comte, incroyablement immodestes (honneur, gloire, ancêtres glorieux, auteur de faits extraordinaires). Alors que chez Rabelais au XVIe siècle ces valeurs du Moyen Ange sont critiquées et en partie tournées en ridicule, chez Corneille elles reprennent toute leur virulence. Quelle régression! La semaine prochaine nous traiterons Dom Juan de Molière, dans lequel les valeurs féodales (honneur, gloire) sont également thématisées, mais à nouveau de façon critique! Avec Molière on s'achemine vers le 18e siècle!


Jean-Pol Martin antwortete am 09.12.00 (08:47):

Un détail qui a sa valeur: à propos de Corneille et du "Cid" les commentateurs soulignent souvent que le héros cornélien dispose de la liberté. Il est libre d'opter pour le devoir ou pour l'amour. Mais de quelle liberté s'agit-il, si, en optant pour l'amour, il se déconsidére aux yeux de la société, de celle qu'il aime et à ses propres yeux mêmes! Au contraire le héros cornélien, symbole de l'idéal absolutiste, est déterminé entièrement par son rang dans la société, chacun étant, dès la naissance, mis à une place déterminée dont il ne peut s'échapper. Le comble du déterminisme est bien le fait que l'"héroïsme" soit héréditaire et que Rodrigue ne puisse bénéficier aux yeux de son père de ses exploits, puisque celui-ci déclare que son fils montre par ses actions qu'il est bien le fils de Don Diègue! Quelle est la part de mérite individuel de Rodrigue, s'il ne fait qu'accomplir ce que son ascendance a placé dans ses gènes? Je ne peux distinguer là de liberté!


Jean-Pol Martin antwortete am 09.12.00 (16:35):

Corneille est l'auteur de la génération de Louis XIII et de Richelieu, celle où la monarchie absolue est en train de s'établir. Le conflit que Corneille décrit est celui de deux époques, celle de Don Diègue, avec sa conception de l'honneur féodal, et celle de Rodrigue, qui revendique son droit à l'autonomie. En même temps, dans "Le Cid", on voit la noblesse d'épée enfreindre l'interdiction royale de se battre en duel, c'est-à-dire résister aux efforts du prince pour imposer sa volonté. Dans cette mesure "Le Cid" était une pièce réactionnaire, défendant les intérêts de la noblesse (passé) contre l'établissement de la volonté absolutiste (avenir). C'est pourquoi Richelieu combattit la pièce. Après l'arrivée au pouvoir de Louis XIV ce sujet n'intéressait plus, puisque la monarchie absolue était établie. Les pièces de Racine, l'auteur qui a succédé à Corneille dans la faveur du public, ne thématisent plus des conflits politiques et sociaux, mais individuels: amour tragique, haine, ambition dévorante et malsaine, cruauté et violence psychologique, perversion liée au pouvoir.


Jean-Pol Martin antwortete am 10.12.00 (07:59):

Une fois de plus à l'étude de Molière ("Ecole des femmes", "Tartuffe" et surtout "Dom Juan") je suis frappé par l'opposition constante dans l'histoire des idées entre une littérature critique remettant en question les pouvoirs temporels (noblesse et Prince) et spirituels (clergé), c'est-à-dire les deux groupes aliénant soit par la force (pouvoir temporel) soit par la peur de l'au-delà (pouvoir spirituel) les sujets d'un pays et une littérature esthétisante, non subversive et bien en cour. D'une part on a donc Rabelais décrivant face aux princes et au clergé la vie telle qu'elle pourrait être si on la libérait des servitudes imposées, puis par la suite Molière critiquant la noblesse et surtout le clergé. Les deux auteurs sont suspectés d'athéisme, constamment attaqués et doivent développer des trésors d'ingénuité pour ne pas terminer en prison. Par contre les auteurs esthétisants de la Pléiade, par la suite Corneille et surtout Racine jouissent d'une sécurité morale due au fait que jamais de façon directe ou même indirecte ils ne remettent le pouvoir en cause. Quelle différence d'attitude, quelle différence de vie aussi!


Jean-Pol Martin antwortete am 14.12.00 (17:52):

Aujourd'hui nous avons pu dégager les positions différentes de Corneille, Racine et Molière face à la société: Corneille a une attitude prescriptive (héroïsme - "Corneille peint l'homme tel qu'il devrait être"), Racine est descriptif ("Racine les peint tels qu'ils sont"). Molière est plutôt prescriptif. Dans ses pièces ils condamne les excès (idéal de l'honnête homme). Ses cibles sont soit des types individuels, comme les avares ou les bourgeois à prétentions nobiliaires, soit certains groupes cléricaux, comme dans Tartuffe. Evidemment il ne s'attaque pas au Roi, qui d'ailleurs le soutient! "Dom Juan" est une pièce à part, montrant un personnage athée, cynique, mais fascinant, par rapport auquel Molière ne semble pas trop prendre de distances! Dans cette pièce le héros/anti-héros n'est pas un honnête homme, mais un rebelle n'acceptant que ses propres lois! Comme pour "l'école des femmes" et "Tartuffe", après la représentation de "Dom Juan" Molière s'est trouvé en butte à des attaques très sévères des milieux d'Eglise groupés autour de la Reine Mère, Anne d'Autriche.


Jean-Pol Martin antwortete am 16.12.00 (17:25):

Dans mon souci de dégager des lignes générales claires en ce qui concerne les valeurs d'une époque, je constate une fois de plus que le 18e siècle par sa complexité me cause beaucoup plus de difficultés que le 17e. En effet les valeurs du 17e siècle s'inscrivent dans un système relativement simple lisible chez Corneille (honneur, gloire, héroïsme, volonté, victoire du devoir sur les sentiments) ou Molière (idéal d'équilibre de l'honnête homme). Le 18e siècle, en cela comparable à la Renaissance, présente une grande diversité de modèles. Comme les valeurs sont plus souples, il est plus difficile de condamner. C'est ainsi que dans le roman de l'Abbé Prévost, l'héroïne Manon Lescaut est une demi-mondaine sans scrupules, mais transfigurée par son amour pour Des Grieux. La plupart des rationalistes sont matérialistes (Diderot, d'Holbach), mais on rencontre aussi des déistes comme Voltaire. Le 18e siècle, c'est Rousseau, mais c'est aussi Choderlos de Laclos et Sade. Il est donc très difficile de dégager un système de valeurs vraiment dominant, comme cela était possible pour le règne de Louis XIV. En lisant Voltaire, nous allons faire un tour d'horizon sur les positions philosophiques et politiques présentes au 18e siècle.


Jean-Pol Martin antwortete am 21.12.00 (18:45):

Avant de traiter Voltaire il m'a semblé utile d'évoquer Montesquieu. En effet, ce penseur du début du 18e siècle introduit une des idées clés des lumières: la tolérance. Le règne de Louis XIV est marqué à la fin de sa vie par l'austérité à la Cour. Après sa mort, c'est le Régent, un homme tourné vers les plaisirs, qui est au pouvoir. Une certaine dissolution des mœurs se répand alors, renforcée par le fait qu'avec l'industrialisation et l'essor de la bourgeoisie, l'argent s'installe peu à peu comme valeur centrale. On a donc affaire à une pluralité des systèmes de valeurs. Face à cette situation, les philosophes du 18e siècle prônent la tolérance. C'est ainsi que Montesquieu dans "les lettres persanes" montre la relativité des usages et critique par exemple l'intolérance qui a poussé Louis XIV à révoquer l'Edit de Nantes, chassant les protestants, c'est-à-dire une population active et productive à l'étranger. Montesquieu condamne cela non pas pour des motifs moraux, mais économiques! Quelle stupidité de se priver de minorités religieuses, qui, en général, sont plus actives que la majorité. En effet, la concurrence entre les religions incite les fidèles à se plier aux règles et à être particulièrement efficaces pour montrer leur supériorité. Donc le pays dans son entier profite des la multiplicité des religions.


Jean-Pol Martin antwortete am 24.12.00 (08:36):

Ce cours s'intitule: "Survol de la littérature...". En fait mon objectif est de rechercher les causes du succès de l'Europe dans le monde depuis la Renaissance. Hormis les facteurs géographiques et économiques, il existe des facteurs idéologiques, c'est-à-dire des valeurs qui sont plus ou moins favorables à la domination d'une culture par rapport aux autres. En me penchant sur l'histoire de l'Empire Romain il m'avait semblé que l'amour de la gloire, c'est-à-dire de la reconnaissance sociale provoquée par des actions favorables à la communauté était un moteur essentiel du succès de Rome. Un état qui héroïse ceux qui investissent leur énergie pour le bien de la communauté conduit à des actions que de simples récompenses matérielles ne susciteraient jamais! Etre considéré comme un héros par son peuple est plus exaltant que de toucher une prime sur le chiffre d'affaire. Or, en lisant de Montesquieu "Causes de la grandeur des Romains" je retrouve les mêmes idées. Il semble donc que cette notion d'héroïsme et de gloire comme moteur de succès pour un pays revienne de façon régulière dans la pensée européenne. Il est intéressant de constater que Montesquieu oppose la Monarchie et la République et note que la Monarchie est préférable à une République où l'amour du bien commun aurait disparu. En effet donner le pouvoir au peuple n'a de sens, que si celui-ci œuvre pour la communauté. Evidemment, pour que cela fonctionne, il faut des structures qui obligent l'individu à penser au bien commun!


Becker antwortete am 31.12.00 (20:06):

j'aimerais bien participer à la discussion - mais sur un autre sujet: les romans de Patrick Modiano p.e.


Jean-Pol Martin antwortete am 01.01.01 (08:29):

Merci de votre contribution. Le problème, c'est que cette discussion est en fait une expérience basée sur un cours de une heure par semaine à l'université d'Eichstätt (Romanistik) dont la continuité est assurée par des réflexions plus ou moins régulières liées à mes lectures sur le sujet traité, en ce moment, par exemple, le 18e siècle. Le sujet du cours lui-même est l'histoire des idées en France du moyen-âge à aujourd'hui, en se basant sur des textes fondamentaux, à caractère philosophique mais destinés à un large public. De mon point de vue Camus est le dernier auteur ayant, par son oeuvre, vraiment marqué son époque (positivement). En tant que romancier sans grande ambition philosophique, Patrick Modiano ne tombe pas dans cette catégorie. Mais peut-être connaissez vous un auteur du XXe siècle qui ait l'envergure de Camus et mérite d'être traité...


Jean-Pol Martin antwortete am 13.01.01 (09:54):

Alors qu'au XVIIe siècle la grande affaire de l'homme est d'œuvrer sur terre pour mériter le ciel, la vie étant un passage plein de souffrances mais nécessaire, au XVIIIe siècle les "philosophes" veulent réaliser le bonheur sur terre. Pour cela, il faut bien sûr examiner le monde réel et, si nécessaire, le transformer. Descartes avait montré la voie en précisant qu'il ne fallait accepter de vrai que ce qui avait été auparavant examiné à l'aide de la raison. Dans la première moitié du XVIIIe siècle (les lumières naissantes), Montesquieu examine les mécanismes suivant lesquels fonctionne la société et son développement au cours de l'histoire ("L'esprit des lois"). Il constate que, si on veut réaliser le bonheur sur terre, une condition est que l'individu subordonne ses besoins aux besoins collectifs. Pour un bon fonctionnement de l'Etat il conseille la séparation des pouvoirs (judiciaire, législatif et exécutif). La deuxième moitié du XVIIIe siècle (les lumières militantes) est marquée par Voltaire et les encyclopédistes, Diderot et d'Alembert. Rousseau annonce déjà le Romantisme. Voltaire, jeune bourgeois parisien, brille dans les salons sans grands états d'âmes jusqu'au jour où il est enfermé à la Bastille pour une épigramme contre le Régent. Par la suite, poète mondain, il continue à triompher dans les salons mais subit une nouvelle humiliations lorsqu'il est battu par les valets d'un grand seigneur à l'issue d'une dispute avec celui-ci. Voltaire radicalise sa critique de la société, penche pour la solution du despotisme éclairé et après bien des voyages se laisse inviter par Frédéric II en Prusse, où il reste trois ans. Peu à peu, Voltaire devient pessimiste et fait un bilan de ses expériences dans Candide, où il critique tous les éléments de la société qu'il lui semble nécessaire de réformer. Son livre porte sur la question du mal sur la terre, attaque notamment Leibnitz et la théodicée ("tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles"). Le style est extrèmement léger et brillant, plein d'ironie et est l'expression parfaite de l'esprit qui régnait dans les salons du XIIIe siècle.


Jean-Pol Martin antwortete am 18.01.01 (17:32):

Rousseau (1712-1718) est en marge de l'esprit des Lumières. C'est un homme du 18e siècle dans la mesure où il remet fondamentalement en cause les structures de la société. Pour lui, tout le bien en l'homme vient de la nature et tout le mal de la société. Une fois qu'on s'est éloigné de l'état naturel et de l'innocence, il n'est plus possible d'y retourner. C'est pourquoi, si les hommes ne veulent pas accepter les structures artificielles crées par la société et la civilisation, ils doivent trouver un consensus raisonnable sur lequel se fonde le règne de la volonté générale. Il faut donc créer un système politique nouveau, assurant l'égalité des hommes.
Après une vie de vagabondage, il répond à 38 ans à une question mise au concours par l'académie de Dijon sur l'éternel problème de savoir si la science fait progresser les mœurs par son "Discours sur les sciences et les arts". Dans ce texte il défend la thèse que la civilisation entraine la décadence des mœurs. Ce texte le fait connaître. Pour lui, les philosophes rationalistes oublient la nature. Dans son "Discours sur l'inégalité" il montre la félicité de l'homme primitif. Dans le roman "Emile" il expose ses conceptions pédagogiques et plaide pour une "éducation négative", c'est à dire une éducation où l'enfant est protégé des influences néfastes de la science et se développe naturellement. Ses idées vont avoir une influence considérable sur la réflexion pédagogique ultérieure, parce qu'elles mettent en relief le fait que l'enfance a une propre dignité nécessitant un enseignement spécifique, différent de celui d'un adulte, fondé sur l'activité personnelle et donnant une place importante aux activités manuelles.
Rousseau, finalement croyant, ne fait pas confiance à la raison mais s'en remet à ses sentiments pour juger du bien et du mal. Par cela il s'éloigne des positions rationalistes et annonce le Romantisme.


Jean-Pol Martin antwortete am 26.01.01 (16:53):

Le 19e siècle est marqué par la marche, par bonds successifs, vers la démocratie, par la révolution industrielle, par la naissance des nationalismes et par la construction d'un Empire colonial à partir de l'Europe. En France, après la Révolution, se succèdent les époques suivantes: Napoléon Ier (romantisme), la restauration (romantisme et réalisme), Napoléon III (naturalisme) et la 3e République (symbolisme). Les caractéristiques du romantisme et ses thèmes sont la primauté du sentiment sur la raison (nature, passion, ennui, angoisse), une attention privilégiée au moi (solitude et héroïsme), l'exotisme spacial (pays exotiques) ou temporel (le moyen âge), l'intérêt pour l'idée de peuple, le mysticisme religieux (pantheisme comme divinisation de la nature), l'attrait pour les puissances du rêve, pour le phantastique et pour l'inconscient.


Jean-Pol Martin antwortete am 01.02.01 (15:11):

Romantisme ne signifie pas qu'on se détourne de la réalité! Bien au contraire. Le romantisme constitue une réaction par rapport au rationalisme des Lumières dans la mesure où il constate que le rationalisme ne décrit qu'un aspect de la réalité, c'est-à-dire l'apect visible et qu'il tait tout ce qui va au-delà. Le réalisme se trouve donc dans la prolongation du romantisme dans la mesure où lui aussi veut tout décrire, mais l'idéalisme romantique déformait la réalité pour des raisons esthétiques ou sentimentales. Le réalisme va donc respecter les faits matériels et décrire les comportements dans leur milieu. Par là il est en phase avec la philosophie positiviste d'Auguste Comte et avec le scientisme. Dans le "père Goriot" Balzac décrit la société du 19e siècle dont la valeur essentielle est l'argent. On distingue principalement deux groupes sociaux: d'une part la bourgeoisie d'affaire riche, comme le banquier Nucingen, en ascendance, d'autre part la noblesse héréditaire, encore auréolée de prestige, méprisant les parvenus, mais perdant peu à peu son influence et son pouvoir. Eugène de Rastignac va traverser plusieurs systèmes de valeurs: quittant ses parents, nobles pauvres de province, avec une morale chrétienne (pratiquer la vertu et rester là où Dieu vous a mis), il va passer à l'école de sa cousine Mme de Beauséant, membre de l'aristocratie encore en place (utiliser les hommes comme des chevaux de poste qu'on change lorsque qu'ils sont épuisés) et être confronté à la morale de Vautrin (les hommes sont des faibles qui ne demandent qu'à se soumettre à l'homme fort). Chez Vautrin, le repris de justice au ban de la société, obsédé par son désir de pouvoir et voulant utiliser Rastignac comme prolongement de lui-même, on voit déjà poindre l'idéologie fasciste. Le naturalisme constitue une radicalisation du réalisme: le milieu décrit n'est plus la bourgeoisie mais le milieu ouvrier. On est confronté à la théorie du déterminisme physiologique (hérédité). L'homme est prisonnier de son hérédité et de son milieu. Le lecteur bourgeois doit comprendre pourquoi les ouvriers se comportent comme ils le font. En réaction au naturalisme le symbolisme essaie à nouveau de découvrir ce qu'il y a derrière la réalité visible. Le poète a comme mission d'aider les hommes à déchiffrer les messages que la nature lui adresse et de retrouver les correspondances auxquelles il est devenu indifférent (par exemple les synesthésies).


Jean-Pol Martin antwortete am 11.02.01 (09:22):

Le 19e siècle déclenche une crise d'identité qui va se déployer au 20e siècle et continue à nous poursuivre au début du 21e. En effet les systèmes de valeurs concrétisés dans les religions judéo-chrétiennes en usage en Occident vont être remis en cause fondamentalement par Darwin et Freud. Si l'homme n'est plus inséré dans un ensemble de règles établies par Dieu et prévoyant une récompense pour les bons et une punition pour les méchants, quel sens donner à la vie? Brusquement l'homme découvre qu'il n'est pas le fils privilégié du créateur, mais un produit dû au hasard de l'évolution et plus ou moins déterminé, donc pas libre (Darwin). Il découvre aussi qu'il porte en lui des pulsions venues de son histoire animale et dont il n'est pas maître (Freud). Existe-t-il encore un moi? Et si oui, où se trouve-t-il? La même remise en question concerne aussi la société, ses structures et ses classes. Deux visions du monde vont s'affronter avec leurs corrolaires politico-idéologiques: le matérialisme d'une part (auquel adhèrent en majorité les socialistes et les communistes) et l'idéalisme (concrétisé par les systèmes religieux établis). Ce dernier est utilisé comme arrière-plan idéologique par les partisans (et profiteurs) du libéralisme capitaliste.
Face à cette situation, la constitution d'une identité cohérente est devenue difficile. Dans sa volonté de construire un moi stable, l'individu se trouve confronté à une multitude de systèmes concurrentiels sans qu'aucun lui permette de s'identifier en totalité avec un modèle. Au début du 20e siècle Proust cherchera un moi cohérent dans la mémoire. Le goût d'une madeleine trempée dans une tasse de thé le projette dans une zone de mémoire hors du temps. Claudel, qui dans sa jeunesse ne croît pas en Dieu, va avoir une brusque révélation dans une église. Même s'il considére les rites et les explications fournies par l'Eglise comme ridicules, il retrouve dans la foi cette cohérence qu'il ne peut pas trouver dans la réalité. Dans le domaine de la poésie, Guillaume Apollinaire ouvre des voies nouvelles en dépassant le cadre formel classique que les symbolistes, malgré toutes les audaces, respectaient encore. Il intègre le pictural et le verbal avec ses calligrammes. La Première Guerre Mondiale avec l'usage d'armes à pouvoir destructeur inconnu jusqu'alors montre à l'homme qu'il est mortel. Il est maitenant en mesure de se détruire tout entier, et cela paradoxalement grâce aux vertus dont il se vante: exactitude, réflexion mathématique logique, ponctualité et précision (Paul Valéry). Si on ne peut même plus se fier aux vertus, que faire? Il y a, directement après la guerre, la réaction nihiliste dadaiste puis, plus positif, le surréalisme, plongeant dans le subconscient et mettant sur papier ou sur toile ce qu'il y trouve. Le mouvement existentialiste délivre enfin un message qui donne un sens à l'action, même si le point de départ est précisément que l'existence est absurde. Mais contre l'absurdité l'homme affirme son existence et sa liberté, - chez Camus sa révolte. Chez Camus - dans "la Peste" - l'existentialisme se pose en humanisme où la solidarité entre les hommes permet de surmonter le sentiment de l'absurde dans l'action, dans la lutte contre le mal. A mon avis le message de Camus dans la Peste est le dernier qui puisse proposer une ligne de conduite crédible. Ni Céline, ni surtout les romanciers du nouveau roman ou les auteurs du théâtre de l'absurde (Ionesco, Beckett) ne proposent une philosophie, une ligne de conduite.

C'est ainsi que se termine mon survol en 6 œuvres et 12 séances.


jean-christophe doubroff antwortete am 12.03.01 (20:47):

Les derniers écrivains que vous citez ne cherchaient pas à proposer une philosophie ou une ligne de conduite; ce n'était semble-t-il plus possible. Il leur fallait et il leur faut encore passer par des voies détournées; clandestines tant à l'égart des récupérateurs d'idéologies qu'à l'égart parfois d'eux même; le "eux-même" étant représenté par "la rationalité qui vit en eux" et qui justement ne trouve plus des "raisons" de vivre.
Très indirectement cet adjectif "clandestin" me fait penser à Gorbatchev; celui qui sut grimper les marches d'un pouvoir qu'il combattait intérieurement, soit délibérement en grand "cachotier" soit "malgré lui" mentant à lui-même pour mieux ne pas mentir à ceux qu'il finira (car le "malgré-lui" finit par craquer)par combattre; mais cela seulemnt le jour où il enaura les moyen, le jour où le combat ne sera pas vain, du type "la gloire pour la gloire".

L'écrivain d'aujourd'hui donc s'il s'engage sait qu'il n'est plus lieu de le faire ouvertement; ou plutôt que cet "ouvertement" n'est plus suffisant; qu'il se heurte à des pouvoirs qui le dépassent, ceux de la démagogie et du marché, qu'il se heurte également à une sensibilité qui n'est plus celle du 19 ième siècle; l'écrivain d'aujourd'hui doit presqu'inévitablement chercher un nouveau langage, d'autres voies pour atteindre celui qui reçoit la bouteille
qu'il a jeté à la mer; de même que le photographe sait qu'il n'est plus suffisant de montrer des enfants qui ont faim pour ramasser de l'argent où transformer une situation politique. Ces écrivains existent; parfois le langage qu'ils expérimentent ne nous touche pas encore. Et s'il faut vous citer des noms je crois pouvoir inscrire ceux-ci: Roland Barthes; Georges Pérec (dont il faudrait lire W ou le souvenir d'enfance; livre abordant de biais la question du totalitarisme et du nazisme; et c'est le "de biais" qui compte);Julien Gracq en ecqui concerne la discrétion militante à l'instart de Maurice Blanchot; plus populaire, Le Clésio; volontairement médiatique pour jouer la carte malicieusement contraire et des situationistes,le sombre désinvolte Philippe Sollers qui cache en se montrant...Et s'il fallait rester (ce qui personnellement me convient) dans l'intelligible classique je crois que quelques noveaux essayistes comme Alain Finkielkraut font "du bon boulot"; la liste n'est bien-sûr pas exaustive mais il me semble vraiment que des "penseurs" continuent de vouloir participer au devenir de l'humanité; même s'ils ont assez justement compris que la limite des belles paroles et des démonstrations trop bien ficelées. Leur diffusion n'est plus celle des "grands écrivains", leur lecture est plus ardue que l'écoute passive de la télévision etc... voilà tout.

Bien cordialement

Jean-Christophe


Jean-Pol Martin antwortete am 14.03.01 (13:49):

Quel interlocuteur de qualité! Je dis cela en pesant bien mes mots! Il ne s'agit pas, évidemment, de juger, mais bien d'exprimer ma satisfaction de vous avoir dans mon champ de communication! Quant aux auteurs dont vous parlez, je n'en ai lu que quelques-uns, furtivement. Que cela ne vous surprenne pas! En fait la littérature m'a toujours servi à mieux comprendre ma vie et le monde. Dès que des auteurs emploient des détours, ils m'énervent. L'auteur que j'apprécie le plus est certainement le Diderot de "Jacques le fataliste" et du "Neveu de Rameau", moins celui de la "Religieuse". Céline me fait beaucoup rire, mais m'attriste, Or je fuis les écrivains qui risquent de me déprimer. Le Clézio m'a beaucoup ennuyé à l'époque où je me forçais à lire, même ce qui ne me passionnait pas. Julien Gracq m'intéresse un certain temps, mais vraiment quand je n'ai rien d'autre à faire. Disons que la vie réelle me fascine tant, surtout depuis qu'il y a l'internet, qu'il me faut beaucoup de discipline pour accepter de la ralentir, ce qui se produit quand on lit. Je suis sûr que quand je serai à la retraite, je me remettrai à lire de la littérature, surtout que je me poserai sans doute plus de questions à ce moment-là sur le sens de mon existence, mais pas maintenant. Maintenant je cours... Par exemple à New York du 12 au 17 avril. Si cela vous amuse, vous pouvez suivre les événements dans le forum "JPM in NYC - ein Projekt", animé par mon étudiant Claudius Konrad. Si vous pouviez vous associer à mon coaching, ce serait amusant aussi!


jean-christophe antwortete am 14.03.01 (20:51):

Vous avez aussi raison; à partir d'un certain effort, il peut être inutile de ne pas renoncer à certaines lectures même si leur objectif louable et sans doute necessaire est de nous proposer d'autres manières de penser, d'autres points de vue pour envisager des problèmes ou des questions qui elles restent je crois identiques à celle que se pose l'humanité depuis longtemps. Renoncer donc lorsque la forme ne porte plus rien, sauf "le rien" comme dans le théatre de l'absurde peut-être. La seule chose que je voulais dire, c'est qu'il y a parfois des musiques qui lors de leur première écoute ne nous touche ni émotionnellement ni intellectuellement (si tant est que l'on doive d'ailleurs séparer l'une de l'autre) . A l'inverse il y a des choses qui rabachées nous ecoeurent même si un premier temps elles surent capter notre attention. La seule chose à retenir, c'est qu'un certain effort est toujours necessaire pour continuer à "devenir un grand" et pour affiner sa perception de la vie; mais qu'il ne faut pas confondre cet effort au snobisme de l'élitisme. C'est finalement comme avec l'alimentation: avec un peu d'honnêteté on apprend à distinguer ce qui nous fait du bien de ce qui nous abruti; sachant que ni les produits ni les doses ne sont pour tous les mêmes et que cette différence des gouts et des besoins ne doit pas être source d'inimitiée ni de jugements trop vindicatif. En ce sens ajouter "à mon avis" à la plupart de ses jugements personnels devra être entendu comme une forme de modestie. Mais au fait vous que Diderot touche, avez-vous lu Kundera?

Jean-Christophe


Jean-Pol Martin antwortete am 14.03.01 (21:20):

Pas encore, mais il me semble que vous l'avez évoqué à plusieurs reprises. Dès que j'aurai un peu de temps...


JPM antwortete am 15.03.01 (12:38):

"La seule chose à retenir, c'est qu'un certain effort est toujours necessaire pour continuer à "devenir un grand" et pour affiner sa perception de la vie;"

Absolument! Le problème, c'est que l'envie vous en vient surtout dans les périodes de souffrance. Quand tout va bien on veut vivre cela sans trop se poser de questions.


jean-christophe doubroff antwortete am 15.03.01 (14:02):

cher Jean-Pol,

Il suffit je crois d'avoir souffert une "bonne" fois pour rester sa vie entière en relatif eveil quand ce n'est pas souterrainement et modéremment angoissé (je dirai même "humainement angoissé" pour que cette angoisse ne soit pas analysée comme maladive mais comme l'un des éléments psychiques de la vie, l'une des conditions siné qua non de l'appréhension quotidienne et non vaccinée du reel; et cela d'autant plus dans nos sociétés où grâce à une certaine liberté, les questions fondamentales que suscite la souffrance sont "à notre charge" et non pas incluses dans un systhème d'explications et de ritualisations collectives.
Quant à l'effort, je coris qu'il peut aussi venir de ces instants où la vie rend particulièrement vivant (vous évoquiez "l'euphorie" dans une précédente intervention ) et où pour dépasser le caractère par définition et par nature éphémère de ces instants, on essaie de chercher d'où ou comment ils sont venus, ce qu'ils supposent d'inconnu, ce qu'ils laissent espérer et finalement comment ils forment à contrario un contre-poids à la souffrance (pour ne pas dire, cequi serait trop rapide, une "réponse" à cette souffrance).
Nous nous écartons bien sûr du sujet du présent forum; sauf qu'à juste titre nous sous-entendons ici qu'un travail littéraire à pour vocation de proposer des descriptions et des essais de réponse à la question ici abordée. Que sans cette ambition elle n'est plus une oeuvre importante. Toutefois je ne veux pas dire ici que cette double question de la souffrance et de l'euphorie est la seule qui puisse être "littéraire"; l'autre question serait je crois celle de l'organisation sociale, du jeux des êtres entre eux, et cela d'autant plus dans le contexte occidental où comme je l'écrivais plus haut, chaque individu est responsable non de "ce qu'il croit" mais de la manière d'essayer de "s'en sortir" avec ce "ce qu'il croit". S'en sortir lui-même et avec les autres qui peuvent très bien croire "croire autre chose ou autrement".
Le Roman serait finalement notre manière à nous européens d'"être mystiques sans être religieux" notre manière d'offrir des pistes sans que celle ci ne soient décrétées "pélerinage", notre manière de conter l'Aventure humaine en dehors de toute référence animiste (occulte) ou de toute "Révélation" (rassurante).

Quant à la question de l'écrivain qui cherche d'autres langages pour mieux être prés de ce qu'il ressent; au risque d'être loin de la majorité des lecteurs; je crois pouvoir ajouter ceci. L'écrivain même s'il décrit le réel est aussi (si ce n'est "d'abord") un artiste et qu'à cetitre il ne faut pas lui demander d'être un journaliste; l'un et l'autre sont utiles mais chacun différemment. Reste à tenter quelques approches de la définition du mot "artiste": peut-être un révolutionnaire en profondeur; celui qui offre une nouvelle musique pour écouter le monde, de nouvelles formes pour l'analyser, un nouveau langage pour tenter de concrétiser cette nouvelle musique avec des mots. A cela et c'est là que nous pouvons être encore davantage d'accord, l'artiste doit peut-être aussi avoir le soucis pédagogique et même fraternel d'atteindre ceux auxquels il envoie ses messages (bouteilles à la mer), ne pas oublier (pour utiliser les notions linguistiques) la fonction phatique, de même qu'un acteur est "mis en scène" de tel sorte que son texte "touche", c'est à dire qu'il provoque un mouvement chez le spectateur, que ce dernier ne sorte pas de la salle tout à fait comme il y était entré.

A bientôt

Jean-Christophe


JPM antwortete am 15.03.01 (14:12):

"L'écrivain même s'il décrit le réel est aussi (si ce n'est "d'abord") un artiste et qu'à cetitre il ne faut pas lui demander d'être un journaliste; l'un et l'autre sont utiles mais chacun différemment."

C'est bien clair chez Céline et Gracq. Deux univers envoûtants...

PS: Ne m'en voulez pas de signer JPM maintenant. J'écris tellement que toute abréviation constitue un véritable soulagement!























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